Que le nom d'André Dussarthou soit peu
connu du grand public s'explique en partie par ces mots qu'il écrivait en
1965 : « ...pour enluminer en paix, il faut perdre son nom, du moins
pendant le travail ». Aussi, l'œuvre de l'artiste aujourd'hui est
abondante et variée, mais volontairement fixée dans un même style, une
même époque, celle qui a marqué l'homme, en ses jeunes années,
lorsqu'il arriva à Moissac : « C'est à Moissac que tout a commencé »,
dit-il souvent.
En effet, c'est là qu'il découvrit, s'imposant comme une résurgence du
passé, l'architecture romane, majestueuse : ses voûtes et ses
colonnades de pierres de taille, dont les chapiteaux décorés de motifs
floraux ou d'entrelacs sculptés déterminent une maîtrise étonnante de
l'art architectural au Moyen Age.
Mais, au-delà de ce choc visuel, qui bouleversa l'artiste, c'est tout
l'inconscient de l'être qui fut imprégné du désir de transcrire, à sa
manière, ce qu'il ressentait au plus profond de lui.
Chaque époque est destructrice de son passé, mais porte en elle le germe
de la recréation. André Dussarthou, adaptant aux besoins du présent
l'art médiéval de l'illustration, redevient créateur et transmet aux générations
à venir une sensibilité personnelle aux œuvres du passé. Émile Mâle
a dit de lui qu'il était « un homme du Moyen Age, égaré dans notre siècle
». On ne pouvait mieux définir l'artiste.
Ne faut-il pas de ces « égarés » dans chaque siècle pour faire le
lien et rappeler à ceux qui se prévalent de technicités modernes et
d'esprit novateur, qu'ils seront à leur tour, dans quelques décennies,
devenus des hommes du passé.
L'art de l'enluminure et de la miniature a pu être éclipsé, par
moments, au gré des modes et vedettariats suscités, mais il ne peut
disparaître, car il exprime : le temps, la patience, le travail, un équilibre
de vertus et de valeurs fondamentales que l'art peut atteindre en
transcendant la condition humaine. La cote exceptionnelle, atteinte par
les manuscrits du Moyen Age dans les ventes aux enchères contemporaines,
n'en constitue-t-elle pas une preuve flagrante?
Enluminer, du latin « illuminare », c'est apporter la lumière, et donc
embellir l'écriture pour lui donner plus d'éclat. Par comparaison aux
livres d'heures enluminés de l'époque médiévale, combien sont tristes,
de nos jours, les éditions littéraires qui, sous prétexte de «rentabilité»,
n'offrent aux lecteurs qu'une présentation banalisée sans attrait.
L'artiste miniaturiste enlumineur, penché sur sa feuille blanche, n'a
cure de ces contraintes économiques. Sous la loupe, à l'extrémité de
son pinceau ou de sa plume, il se consacre tout entier à son œuvre.
Hors du temps et du monde, de ses doigts experts, d'un geste noble et
contenu, il peaufine avec soin chaque personnage, chaque objet, dans une
recherche constante de perfection.
André Dussarthou a eu ses heures de gloire médiatique lorsque son
ouvrage « Enluminures inspirées par Moissac » fut présenté au Musée
des Arts décoratifs, sous l'égide du Secrétaire d'État aux Beaux-Arts.
Exposition qui connut un grand succès et lui valut les appréciations de
François Mauriac et d'autres critiques illustres, ainsi que le prix
Catenacci, attribué au meilleur manuscrit par l'Académie des Beaux-Arts.
Depuis Dussarthou n'a cessé d'écrire, de peindre, d'enluminer de
nombreux ouvrages, à exemplaire unique pour certains, qui ont trouvé
amateurs aux quatre coins du monde. Les rares privilégiés qui le
rencontrent, car il est modeste et discret, connaissent la farouche volonté
qui l'anime et le passionne pour chacune de ses créations.
Cette édition de Louis XI et Charles le Téméraire, abordée voici
quelques années déjà, et prévue initialement en un seul volume, a été
entièrement révisée sur la demande de l'éditeur, qui désirait lui
donner enfin la place de choix qu'elle méritait dans cette belle
collection, tant appréciée :
LES GRANDS ROIS DE FRANCE.
Il faut s'émerveiller devant une telle
ardeur au travail, de cette ouverture d'esprit et de collaboration de
l'artiste qui n'a pas hésité à reprendre, pour une nouvelle répartition
l'ensemble de l'illustration.
Ainsi, à travers ce texte passionnant de Philippe de Commynes, l'artiste
nous convie à de nouvelles découvertes, car il a su saisir les événements
les plus marquants et pittoresques et pour notre grand plaisir,
recrée toute l'atmosphère d'un Moyen Age historique renaissant.
René Jeanne