Préface à cette édition
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   L'Iliade est un poème préhistorique, modifié par les Grecs de siècle en siècle, mais dont les caractères essentiels se sont admirablement conservés. D'ailleurs, la période à laquelle il se rapporte est déjà une période de civilisation avancée. Nous ne tenterons pas l'histoire de cette époque — ce qui serait d'ailleurs impos­sible, sinon sous la forme où nous l'avons déjà fait dans les Origines.

   Nous en esquisserons la Légende, lorsque nous aborderons la littérature grecque des temps nettement historiques.

   L'Iliade, œuvre primitive d'un ou de plusieurs aèdes (cette dernière hypothèse reste la plus vraisemblable) a donc subi nombre de modifications à travers les siècles. Les anciens n'avaient pas ce respect attentif que nous avons pour les œuvres du passé, et tout eu admirant leurs ancêtres, plus peut-être que nous n'admirons les nôtres, la Grèce, l'Égypte ou Rome remaniaient volontiers les vieux chanta, de manière à ce qu'ils ne cessas­sent pas d'être compréhensibles pour la masse. L'Iliade a donc été récrite nombre de fols, et la forme sous laquelle nos hellénistes la peuvent lire actuellement n'est pas du tout la forme primitive des aèdes homériques. Toutefois, il semble que l'esprit préhistorique y ait été conservé avec beaucoup de fidélité, ainsi qu'en témoignent tant de détails qui ne fussent pas venus à l'esprit d'un Grec du temps de Périclès ou de Philopœmen. Tant pour le profane, qui ne lit que les traductions, que pour l'helléniste qui a pâli dix mille nuits sur les textes, l’Iliade conserve la saveur des œuvres primitives, leur belle barbarie teintée d'un art vif et fort.

   A part quelques menues dissonances, un moderne goûtera donc l’Iliade, dix fois retouchée par l'Antiquité, absolument comme il goûterait l'œuvre directe des poètes homériques (qui, du reste, nous seraient à peu près intraduisibles, si les Grecs ne nous avaient mâché la besogne.)

   L’Iliade se complète pour nous par ? Odyssée, c'est-à-dire par les aventures d'Ulysse au retour du siège de Troie.

   Beaucoup des héros de l’Iliade furent évidemment chantés par les aèdes homé­riques de la même manière que le fût Ulysse. Chaque peuplade exigea une histoire particulière de son héros, et on conçoit une série de chants complémentaires sur Agamemnon, Diomède, Philoctète, etc., dont quelques-uns purent avoir la valeur de l'Odyssée, Mais, à mesure que la Grèce se civilisait, ou plutôt se raffinait, l'Iliade suffit pour les faits héroïques et la légende du plus fin des Grecs, du plus rusé, du plus fertile en expédients, garda un attrait spécial pour cette race intellectualisée. Par là, les chants anciens plus spécialement héroïques se corrompirent, perdirent leur belle ordonnance, ou périrent tout entiers, sauf l'encyclopédique Iliade, et il ne demeura vraiment que l'Odyssée, parmi les vieux poèmes biographiques, comme plus concordante avec les sentiments subtils d'une race décadente.

 

J.-H. Rosny.