Querelle des Anciens et Modernes
: controverse sur les mérites respectifs des écrivains de l'Antiquité
et de ceux du siècle du Louis XIV, qui divisa le
monde littéraire français à partir des années 1680.
Elle reprend un débat déjà agité au XVIe siècle, celui qui oppose
les
imitateurs des Anciens à ceux qui prêchent le
rejet des modèles antiques et l'invention de formes modernes.
Suivant l'exemple de Descartes et de Pascal, les Modernes
(Perrault, Quinault, Saint-Évremond, Fontenelle, Houdar de La Motte) critiquent
l'Antiquité en raison du progrès des techniques et des sciences, et en raison
de l'ennui que les auteurs anciens peuvent provoquer auprès d'un public mondain
et féminin : selon eux on ne peut considérer les Modernes comme inférieurs à
leurs ancêtres.
Les Anciens (Boileau, Racine, La Bruyère, La Fontaine,
Madame Dacier) invoquent le génie des écrivains antiques, d'Homère et de
Virgile, pour expliquer qu'ils doivent rester des modèles dans la pratique des
arts.
Cette querelle se déroula en trois étapes
principales :
Dans la première, le débat portait sur l'épopée
et le poème héroïques. Boileau, dans son Art poétique
(1674) préconisait le respect des modèles grecs et latins et le recours à la
mythologie.
La querelle s'élargit à la question de l'emploi du français
au lieu du latin dans les inscriptions.
La deuxième étape,
la plus importante, commença en 1687, le 27 janvier avec le poème que Charles
Perrault présenta à l'Académie : le Siècle de Louis le Grand critique
les Anciens, fait l'éloge
des contemporains, proclame le siècle de Louis XIV
supérieur à celui d'Auguste
- La docte Antiquité dans toute sa durée
- À l’égal de nos jours ne fut point éclairée.
- (Charles Perrault.
Le siècle de Louis le Grand)
Boileau
s'indigna et attaqua, soutenu par La Bruyère.
La polémique enfla avec la
publication par Perrault
des quatre volumes du Parallèle des anciens et des
modernes à partir de 1688, où il attaque
les Anciens en comparant
dans un dialogue fictif les réalisations
des Anciens avec
les réalisations modernes
dans presque tous les aspects de la vie humaine. La
polémique tournait essentiellement autour de deux
modèles esthétiques opposés : le principe de l’imitation
orienté vers l’Antiquité comme idéal de beauté absolu et
d’autre part le principe du génie de l’imagination qui
puise son inspiration en lui-même.
- La belle Antiquité fut
toujours vénérable;
- Mais je ne crus jamais qu’elle
fût adorable.
- Je voy les Anciens sans plier
les genoux,
- Ils sont grands, il est vray,
mais hommes comme nous ;
- Et l’on peut comparer sans
craindre d’estre injuste,
- Le Siecle de Louis
au beau Siecle d’Auguste.
- (Charles Perrault. Parallèle
des anciens et des modernes en ce qui regarde les
arts et les sciences)
Le Grand Arnauld dut
s’entremettre pour réconcilier les parties et, le 30
août 1694, Perrault et
Boileau s’embrassèrent en
public à l’Académie française. La réaction du public de
l’époque pourrait donner à penser que Perrault et son
parti remportèrent la victoire dans cette polémique,
mais il n’y eut pas de victoire nette, la querelle
s’étant en quelque sorte épuisée.
Vingt ans plus tard, la querelle reprit, à propos
de la traduction d'Homère en prose par Mme Dacier, que La
Motte adapta en vers, supprimant ce qu'il appellait des longueurs pour
adapter l'Iliade aux goûts modernes. Cette
fois-ci, l'apaisement vint de Fontenelle.
Bien plus que le faux problème de la supériorité, cette
querelle posait la question du progrès et de la naissance d'idées nouvelles,
soutenues par une nouvelle esthétique.
La seconde Querelle des
Anciens et
des Modernes, à une époque où Perrault et Boileau
étaient déjà morts, oppose en 1713-1716
Houdar de La Motte à Mme Dacier qui débattent
de l’épineux problème de la fidélité au texte d’Homère, suite à une traduction
de l’Iliade publiée par Mme Dacier en 1711,
où Houdar avait « corrigé » et raccourci
l’original, accompagné d’une préface contenant un Discours sur Homère,
publié en 1714, où il prend la défense des Modernes.
Dans
l’optique des partisans des Anciens, tout a été dit et les
Modernes sont de
médiocres copistes. C’est pourquoi le dessein de La Motte, d’adapter l’Iliade
au goût du jour, soulève l’indignation de Mme Dacier.
Houdar de La Motte se
défend et oppose aux textes originaux sa propre originalité :
J’ai mis en vers l’Iliade, tout imparfaite que je
l’ai jugée ; et il semble d’abord que je mérite un reproche opposé à
celui que craignent ordinairement les traducteurs qui entreprennent de copier
les originaux qu’ils jugent parfaits et inimitables. (…) J’ai suivi dans
l’Iliade ce qui m’a paru devoir en être conservé, et j’ai pris la liberté
de changer ce que j’y ai cru désagréable. Je suis traducteur en beaucoup
d’endroits, et original en beaucoup d’autres.
Dans le discours de La Motte, original tient donc de deux sens étroitement
liés : comme substantif au pluriel il tend à désigner les ‘premiers’
textes tandis que comme adjectif au singulier, le terme renvoie aux apports et
retouches des littérateurs français. Selon les partisans des Anciens qui ne
jurent que par la fidélité aux originaux, il serait inconcevable de faire
preuve d’originalité si ce n’est par une imitation toujours plus fidèles
des originaux. Les Modernes bouleversent ces données en s’appropriant le
concept d’originalité, à savoir en traitant leur propre production comme de
nouvelles sources de référence. Signalant peut-être le désir d’être les
Anciens des générations futures, les Modernes déplacent le centre
d’originalité de l’Antiquité au XVIIe siècle français.
Textes de référence
Anciens :
- Antoine Furetière, Nouvelle
allégorique (1659)
- Nicolas Boileau, Satires
I-VI et VIII-IX (1666-1668) – Traité du sublime
de Longin (1674) – L’Art poétique (1674)
- René Rapin, Réflexions sur la
Poétique d’Aristote (1674)
- Jean Racine, Préfaces d’Iphigénie
(1675) et de Phèdre (1677)
- Nicolas Pradon, Phèdre et
Hippolyte (1677)
- La Fontaine, Épître à Huet
(1687)
- Jean de La Bruyère, Les
Caractères (1688) – Préface du Discours de
réception à l’Académie Française (1694)
- Longepierre, Discours sur les
Anciens (1688)
- Nicolas Boileau, Ode sur la
prise de Namur / Discours sur l’Ode
(1693) – Réflexions sur Longin (1694) –
Satire X (1694)
- Madame Dacier, L’Iliade
d’Homère traduite en français avec des remarques
(1711) - Des causes de la corruption du goût
(1714) – La Suite de la corruption du goût
(1716)
- Fénelon, Lettres à l’Académie
(1714) – Lettre sur les occupations de l’Académie
(1716)
- Étienne Fourmont, Examen
pacifique de la querelle de Madame Dacier et
Monsieur de La Motte (1716)
Modernes :
- Charles Perrault (Le siecle de
Louis le Grand, 1687),
- Poèmes épiques de Le Moyne (Saint-Louis,
1653), Georges de Scudéry (Alaric, 1654),
Antoine Godeau (Saint-Paul, 1656), Jean
Chapelain (La Pucelle, 1657), Desmarets de
Saint-Sorlin (Clovis, 1657), Le Laboureur (Charlemagne,
1664)
- Desmarets de Saint-Sorlin, La
comparaison de la langue et de la poésie française
avec la grecque et la latine (1670) – Défense
du poème héroïque (1675) - Défense de la
poésie et de la langue française (1675)
- Michel de Marolles, Traité du
poème épique (1662)
- Le Laboureur, Avantages de la
langue française (1667)
- Paul Pellisson, Relation
contenant l’Histoire de l’Académie Françoise
(1672)
- François Charpentier, Défense
de la langue françoise pour l’Arc de triomphe
(1676) – De l’excellence de la langue françoise
(1683)
- Michel de Marolles,
Considérations en faveur de la langue françoise
(1677)
- Charles Perrault, Le siècle de
Louis le Grand (1687) – Parallèles des
Anciens et des Modernes (1688-1697) – Des
hommes illustres qui ont paru en France
(1696-1711)
- Fontenelle, Dialogues des
morts (1683) – Digression sur les Anciens et
les Modernes (1687)
- Saint-Evremont, Sur les poèmes
des Anciens (1686) - Sur la dispute touchant
les Anciens et les Modernes (1692)
- Pierre Bayle, Dictionnaire
historique et critique (1695-1697)
- Antoine Houdar de la Motte,
L’Iliade en vers français (1714) – Réflexions
sur la critique (1715)
- Jean Terrasson, Dissertation
critique sur l’Iliade d’Homère (1715)
- Abbé d’Aubignac, Conjectures
académiques, ou dissertation sur l’Iliade (1715)
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