Biographie
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 Berthold-Mahn, Berthold Charles Désiré Mahn dit, Paris 25 decembre1881 - 1 avril 1975, repose au cimetière de Chaumot. Berthold Mahn signait ses oeuvres de son prénom et de son nom accolé.
 
BERTHOLD MAHN PORTRAITISTE ET ILLUSTRATEUR

Un timbre-poste évoquant le Grand Meaulnes, d'Alain Fournier, en 1986, ou le portrait de Roger Martin du Gard, reproduit sur la jaquette d'un volume de la prestigieuse collection de La Pléiade, ont contribué à consacrer et à populariser deux aspects du talent de l'artiste Berthold Mahn, grand témoin et regard marquant du XXe siècle, disparu il y a vingt cinq ans. Ce Parisien, de père silésien et de mère luxembourgeoise, s'était, depuis longtemps, fixé en terre d'Yonne, aux Lorris, ce hameau du village de Chaumot accroché sur le rebord du plateau gâtinais ; c'est là qu'il repose avec son épouse, Amélie, dans cette simplicité rurale qu'il aimait.

L'abbaye de Créteil

« C'est tout seul qu'à 13 ans, armé d'un crayon à mine de plomb, je me suis mis à dessiner tout ce qui se trouvait à ma portée, les choses et les gens. J'ai continué ensuite, parce que je ne disposais d'aucun autre moyen. Employé dans une usine où j'étais enchaîné dix heures par jour, je dessinais en cachette mes collègues de bureau... » L'enseignement des cours du soir fut alors la seule formation académique du petit Parisien du faubourg du Temple, fils d'immigré et aîné de quatre enfants. En 1902, il part pour le service militaire ; affecté au 72é R.I., à Amiens, il a la chance de pouvoir y valoriser ses dons : employé à orner les tableaux de service, puis à peindre des décors, il échappe aux exercices et dessine le portrait de ses camarades. C'est sur une pierre empruntée à la presse du régiment qu'il réalise sa première lithographie. Et, surtout, il s'y fait un ami, le peintre Albert Gleizes.

Rendu à la vie civile et entré dans un atelier de dessin publicitaire où il rencontre Amélie, sa future épouse, Mahn va cultiver l'amitié : Gleizes lui fait rencontrer le poète René Arcos ; celui-ci le présente à ses amis Charles Vildrac et Georges Duhamel. Avec Jules Romains, un petit groupe se constitue, qui aspire à une vie communautaire et rêve de créer une abbaye de Thélème où chacun d'entre eux pourrait librement épanouir sa vocation artistique, en marge des contraintes sociales. Il ne manque qu'un lieu ; c'est Vildrac qui le découvre, à l'automne 1906 : une vaste et belle propriété de Créteil, un peu à l'abandon, va incarner leur rêve.

Un atelier d'imprimerie, consacré à l'édition d'art, doit permettre d'assurer leur indépendance pécuniaire, au prix de quelques heures quotidiennes de travail mercenaire ; l'Abbaye de Créteil, association fraternelle d'artistes est née, qui attire très vite la curiosité et la sympathie du monde intellectuel, non sans quelques tentatives de récupération idéologique. Cependant, les difficultés financières et les susceptibilités des membres du groupe aboutissent, en janvier 1908, à la dissolution de l'Abbaye... Mais cet échec n'est pas celui de l'amitié, et Mahn, dont l'enthousiasme est toujours resté réaliste, a noué là des liens quasi fraternels qui dureront plus d'un demi-siècle et éclaireront son parcours artistique et humain.

A l'heure de la Grande Guerre, il connaît la longue épreuve des tranchées : brancardier sur la Meuse, en Argonne, au Mort-Hommes (ses croquis, plus tard, illustreront Le Feu  de Barbusse), puis il retrouve Vildrac au service de camouflage de l'armée.

La paix revenue, Mahn se consacre uniquement à son œuvre. En 1919, il réalise, pour Duhamel, le frontispice de Civilisation, son premier pas dans la carrière d'illustrateur. Il multiplie les portraits, sensibles et subtils. Parallèlement, il peint, dans des tonalités sombres, et se rattache au groupe de la Jeune peinture française qu'animent Derain et Othon Friesz.

En 1926, ses lithographies pour le roman de Duhamel  Deux hommes, où il interprète magistralement le personnage de Salavin, lui valent d'emblée la notoriété et les commandes affluent... « J'ai orné d'images une centaine de bouquins », avouera-t-il à la fin de sa vie, avec sa modestie souriante. Illustrateur fidèle et discret, il sait s'imprégner de l'œuvre et établir avec elle une sympathie de l'esprit et de l'âme, n'hésitant pas à multiplier les voyages aux pays de ses héros de romans : en Sologne, pour  Le Grand Meaulnes  ; à Lyon avec Henri Béraud, en Espagne pour Don Quichotte  ou à Londres et Canterbury pour les personnages de Dickens... En 1931, pour accompagner les huit volumes des œuvres de Verlaine, il abandonne la pierre lithographique pour le dessin reproduit en phototypie.

A l'été 1939, alors que se précisent les menaces de guerre et que son fils unique Jean-Berthold, jeune universitaire, est mobilisé, Mahn acquiert, aux Lorris,  une petite ferme sur une colline. La position de cette vieille maison, aux murs ocres parcourus d'une treille, I'a conquis : de là, il domine la petite vallée du ru de Bourrienne, les grands bois étagés, au loin le clocher de Chaumot, à l'est l'Yonne et la forêt d'Othe. C'est un lieu fait pour peindre et il s'y découvre une palette nouvelle, colorée et riante. C'est pourtant aux Lorris qu'il apprend, le 2 juin 1944, la mort de son fils qui avait rejoint la France libre et venait de tomber au Garigliano ; Berthold Mahn ne trouve d'apaisement que dans un travail acharné : entre l'illustration du cycle des  Pasquier  de Duhamel et des  Thibault de Martin du Gard, il  orne d'images les comédies de Shakespeare, les  Bucoliques  de Virgile, les poèmes de Chénier ou  Le Silence de la Mer  de Vercors... Dans les années soixante, il entreprend la rédaction de ses Souvenirs, œuvre sincère et généreuse à l'image de sa personnalité. Les Lorris accueillent ses amis fidèles, comme Charles Vildrac, Claude Aveline ou les Bouillé de Migennes.

Nonagénaire, il ne cesse cependant de tenir le pinceau ou le crayon, prodiguant portraits ou croquis ; il a gardé les yeux purs, le regard enthousiaste et saisit l'âme des pays d'Yonne. Ses silhouettes d'arbres, très caractéristiques, signent  ses paysages.

Si la bibliothèque de Créteil lui consacre, en 1973, une belle exposition, d'autres projets échouent à voir le jour : I'illustration de contes poyaudins du folkloriste Jean Puissant ou le recueil  Traits et portraits préparé avec Vildrac. Mahn s'éteint à près de 94 ans, le 1er avril 1975. Pour son centenaire, en 1981, Villeneuve-sur-Yonne lui consacre une grande rétrospective qui circule ensuite à Blois, à Saint-Germain-en-Laye, à Strasbourg..., témoignant de la pérennité de son œuvre que prophétisait Roger Martin du Gard quand, découvrant son portrait, en 1946, il l'imaginait un jour au Louvre avec la seule indication :  Berthold Mahn, portrait d'un inconnu. Ecole française, milieu du XXe siècle.

J.-L. DAUPHIN