Si toutes les
civilisations antiques ont produit des poteries, la céramique
grecque, comme le souligne François Lissarague dans un ouvrage
récent, se distingue par la qualité des vases et du décor figuré que
comportent la plupart d’entre eux. Il s’agit d’objets utilitaires,
mais les artisans ont toujours cherché à concilier le beau et
l’utile et se sont livrés, au fil des siècles, à d’incessantes
recherches esthétiques, en particulier dans la représentation de la
figure humaine. C’est la richesse et la diversité de cet art que
nous allons nous efforcer de découvrir. En effet ces vases ont
d’abord une longue histoire, marquée par une succession de styles et
de techniques. Il existe aussi différents types de vases,
caractérisés par leur forme et leur usage. Enfin et surtout ils nous
intéressent par leur décor, un décor qui, pour l’homme
d’aujourd’hui, est tout à la fois une œuvre d’art et l’image d’une
civilisation.
L'histoire des vases
Les vases grecs ont effectivement une longue
histoire. Après l’effondrement de la civilisation mycénienne, c’est
aux alentours de l’an 1000 qu’on voit apparaître les premiers vases
peints. Et c’est à la fin du IV° siècle que disparaît la céramique à
décor figuré.
Du
géométrique à la figure rouge.
On
distingue, au cours de ces quelque 700 ans, quatre périodes :
- Après une première phase baptisée proto-géométrique
(1050-900 av. J.-C.), le style géométrique
(900-700 av. J.-C.), ainsi désigné à cause des motifs abstraits
-chevrons, méandres, damiers, cercles ou demi-cercles- qui décorent
les vases. Mais vers 800 s’y ajoutent les premiers éléments figurés.
Ce sont comme sur ce vase (fig. 1), probablement une urne cinéraire,
des animaux peints en silhouettes noires et réduits à un dessin très
stylisé : ici, près des anses, deux chevaux. Un peu plus tard, vers
750, apparaît la figure humaine. Les exemples les plus
représentatifs de cette période sont de grands vases -ils mesurent
plus d’un mètre de haut, parfois même 1,50 m.- qui servaient à
signaler l’emplacement d’une tombe. Ils sont donc décorés de scènes
funéraires. On peut y voir notamment l’exposition du défunt sur son
lit, au milieu des lamentations de ses proches. Le dessin obéit aux
mêmes canons géométriques que le reste de la décoration : le buste
de tous les personnages forme un triangle noir reposant sur la
pointe et les bras des pleureurs et des pleureuses prolongent les
côtés de ce triangle.
- A l’aube du VII° siècle, le décor géométrique cède la place à des
motifs nouveaux empruntés à la nature : il s’agit d’ornements
végétaux, d’animaux réels ou fantastiques, sphinx et griffons
voisinant avec chèvres, cerfs ou bouquetins. Ces motifs ayant été
empruntés par les peintres aux tissus et vases d’orfèvrerie venus
d’Orient, on parle de style orientalisant pour désigner la
céramique grecque du VII° siècle. L’un des plus beaux exemples de
cette période est le vase appelé oenochoé Lévy et conservé au
Louvre : le décor comporte cinq zones de cerfs ou de bouquetins au
pelage alternativement uni et tacheté, surmontées sur l’épaule par
une bande mêlant sphinx, griffons et volatiles. On retrouve les
mêmes sphinx -ou sphinges, car il s’agit d’animaux ayant un buste de
femme- sur un vase attique du début du VII° siècle (fig. 2). Il
s’agit d’une loutrophore, un vase rituel au col très allongé et qui
servait aux ablutions lors des mariages ou des funérailles. Sur le
corps du vase alternent les zones d’ornements végétaux stylisés
(tresses, feuilles, rosettes) et les scènes figurées. Les
personnages, les deux couples de danseurs sur le col ou les
cavaliers sur la panse, sont dessinés de manière moins sommaire que
sur les vases géométriques et le peintre a adopté pour les chevaux
un procédé appelé à un bel avenir : il a noté les crinières à l’aide
d’incisions.
-
Le siècle suivant, le VI° siècle, est celui de la céramique dite
à figures noires. Les ornements géométriques ou végétaux
abondamment utilisés jusqu’alors n’occupent désormais qu’une place
réduite et servent à meubler les bandes étroites qui encadrent les
scènes figurées. Sur celles-ci les personnages se détachent en noir
sur le fond clair du vase. Ce vernis noir appliqué par le peintre
sur le vase pour dessiner ses figures est en fait une couche
d’argile plus fine qui acquiert cette couleur au cours de la
cuisson. L’appellation de vases à figures noires est cependant très
réductrice. Comme on peut le voir sur cette cruche datant du milieu
du siècle (fig. 3), l’artiste ne se contente pas de peindre les
personnages en silhouettes noires. Il recourt à l’incision pour les
détails internes : les chevelures, les barbes, les plis et motifs
des vêtements, la chouette qui orne le bouclier d’Athéna. D’autre
part, il enrichit son dessin de rehauts de couleurs : rouge pour les
ailes de la chouette, les vêtements et le chapeau d’Hermès, blanc
pour le visage et les pieds d’Athéna. Sur les vases à figures
noires, le blanc est d’ailleurs toujours utilisé pour les chairs
féminines. Convention, mais aussi peut-être souci de réalisme : on
distingue ainsi la femme de l’homme, auquel les travaux de
l’extérieur donnent un teint plus hâlé.
- Aux vases à figures noires succède vers 530 la céramique à
figures rouges. Il s’agit d’une véritable inversion : au lieu de
peindre en noir sur le fond clair des vases, le vernis noir est
désormais appliqué sur tout le vase en dessinant le contour des
personnages et des éléments du décor qui se découpent alors en
clair. Et les détails intérieurs, la musculature ou les plis des
vêtements, sont rendus par des lignes tracées au pinceau. Les
peintres vont peu à peu adopter cette nouvelle technique, plus riche
de possibilités d’expression, et vers 480 la figure noire disparaît
totalement, sauf pour une catégorie de vases. Ce sont les amphores
panathénaïques, ces vases contenant l’huile offerte aux vainqueurs
des différentes épreuves athlétiques lors des Grandes Panathénées,
jeux se déroulant tous les quatre ans à Athènes. Ces vases qui
reproduisaient sur l’une des faces la déesse Athéna armée d’un
bouclier et d’une lance demeurent, par conservatisme religieux,
fidèles à la tradition de la figure noire, même aux V° et IV°
siècles.
La représentation du
corps humain.
 Le
changement de style s’accompagne, au fil des siècles, d’un progrès
constant dans la représentation de la figure humaine. Aux
silhouettes pleines et schématiques de la période géométrique
succède, à l’époque des figures noires, une représentation plus
élaborée, mais qui obéit encore aux conventions archaïques (telles
qu’on les observe dans la peinture égyptienne). On peut prendre pour
exemple un vase du Louvre, sur lequel Héraclès ramène des enfers
Cerbère, le terrible chien aux trois têtes rugissantes environnées
de serpents, au grand effroi d’Eurysthée qui tente de se dissimuler
dans une jarre. Le corps d’Héraclès est représenté de face, mais la
tête, à l’exception de l’œil, et les jambes de profil. Quand ils
sont vus entièrement de profil, comme sur le col de cette amphore
(fig. 4), les corps dessinent une silhouette lourde et passablement
disgracieuse, dotée d’un postérieur proéminent. A la fin de la
période et surtout avec les premiers peintres de figures rouges, la
représentation du corps humain devient plus précise et plus
réaliste. L’artiste sait peindre un corps de profil ou accomplissant
un mouvement de torsion pour lancer le disque ou le javelot, les
proportions sont respectées, l’usage du pinceau permet de rendre
avec précision la musculature et l’anatomie. On voit même au milieu
du siècle, comme sur ce vase à fond blanc (fig. 5), l’œil
véritablement dessiné de profil.
Les centres de fabrication.
L’histoire
des vases grecs est aussi celle de leur localisation. Celle, du
moins, des ateliers les plus productifs. Schématiquement, cette
histoire se confond avec l’essor, puis le déclin de la production
athénienne. Au cours des premiers siècles, il n’est pas de région de
la Grèce qui ne produise des vases et qui n’ait son style propre.
Qu’il s’agisse de la Grèce du continent, des îles ou des cités
ioniennes d’Asie Mineure. L’île de Chios, par exemple, fabriquait au
VI° siècle un type de vase très apprécié, si l’on en juge par sa
diffusion autour du bassin méditerranéen. Il s’agit d’un calice à
anses horizontales et pied conique, dont la panse était revêtue d’un
engobe blanc et décorée d’une figure animale : sur un exemplaire
appartenant au Louvre, un lion rugissant dessiné au trait pour la
tête et en silhouette noire rehaussée de pourpre pour le corps. Les
ateliers de Corinthe produisaient et exportaient surtout de petits
vases à parfums jusqu’au milieu du VI° siècle.
Mais à partir des années 550, c’est la cité d’Athènes qui va
éclipser toutes les autres productions et exercer pendant un siècle
et demi une domination absolue. Ainsi, pratiquement tous les vases
de cette période qui ont été retrouvés en Etrurie, et qu’on a
longtemps tenus pour étrusques au XIX° siècle, ont été importés
d’Athènes. Mais à la fin du V° siècle, apparaît une production
locale dans les colonies grecques d’Italie du sud, en Apulie et en
Lucanie, et qui éclipse les vases fabriqués à Athènes. Toutefois, on
observe sur les vases de cette période, quelle que soit leur
provenance, un affaissement de la qualité, qu’il s’agisse du dessin
très relâché ou de la forme aux proportions souvent peu
harmonieuses. Qu’on en juge par la représentation de la déesse
Athéna sur cette amphore (fig. 6), lorsqu’on la compare à la
céramique des VI° ou V° siècles. Ce déclin précède la disparition de
la céramique à figures rouges et avec elle de la céramique à décor à
la fin du IV° siècle.
C’est pourquoi nous
nous intéresserons, dans les lignes qui suivent, essentiellement aux
vases attiques à figures noires et figures rouges des VI° et V°
siècles, qui représentent l’apogée de cette forme d’art
Les types de
vases
Les formes
et les usages.

On
peut distinguer, selon leur usage, trois catégories de vases :
- Les vases servant à conserver ou
transporter un liquide :
L’amphore,
un vase au corps ovoïde et pourvu de deux anses. Elle comporte
parfois un col nettement séparé de la panse et qui fait l’objet,
dans ce cas, d’une décoration. Les amphores contenant l’huile
offerte aux vainqueurs des épreuves athlétiques, lors des Grandes
Panathénées, sont appelées panathénaïques.
L’hydrie,
vase à trois anses, une anse verticale et deux horizontales, était
destiné à recueillir et transporter l’eau. Les anses horizontales
permettaient de porter le vase, la verticale de verser l’eau.
- Les vases pour les
soins du corps :
Vases à parfums, servant pour la toilette de
la femme ou contenant l’huile parfumée dont s’enduisaient les
athlètes. Ils portent des noms divers selon leur forme :
aryballe, lorsqu’il s’agit d’un petit vase de forme
globulaire ; alabastre, pour les vases à forme très
allongée. Le lécythe est un vase typiquement athénien :
de forme presque cylindrique, il est surmonté d’un long col
pourvu d’une anse. Au cinquième siècle à Athènes, on fabrique
des lécythes à fond blanc à usage strictement funéraire. Ils
sont déposés comme offrandes sur la tombe ou à l’intérieur de
celle-ci.
Les femmes grecques utilisaient aussi, pour les fards ou les
bijoux, des pyxis (ou pyxides), petites boîtes
cylindriques munies d’un couvercle.
-
Les vases destinés au banquet :
Le cratère,
qui servait au mélange de l’eau et du vin (car les Grecs ne
buvaient pas le vin pur). Selon la forme, on distingue le
cratère en calice le cratère en cloche, le cratère à
colonnettes ou le cratère à volutes (tel le fameux vase François
conservé au musée de Florence). Souvent haut de 40 à 50
centimètres, il offrait à la décoration sur sa panse une large
surface.
L’oenochoé
est une cruche à panse arrondie pourvue d’une seule anse et d’une
embouchure le plus souvent trilobée : on l’utilise pour verser le
vin puisé dans le cratère.
On
emploie enfin pour boire des coupes de formes sensiblement
différentes, mais toujours pourvues de deux anses horizontales et
d’un pied plus ou moins élevé. Les coupes comportent en principe une
double décoration : à l’extérieur sur le pourtour de la vasque, et à
l’intérieur dans un médaillon cerné par une bande ornée de motifs
géométriques. On trouve au VI° siècle un modèle très répandu : la
coupe à yeux, ainsi appelée parce qu’elle est décorée, à
l’extérieur, de deux énormes yeux vus de face, entre lesquels
apparaît un nez stylisé ou tout autre motif. On utilise le terme de
skyphos, lorsque le vase à boire a la forme d’un bol à deux
anses.
Sur le médaillon d’une coupe à figures
rouges du Louvre (fig. 7), on découvre les trois catégories
principales de vases utilisées au cours du banquet : le jeune
esclave tient dans la main droite une oenochoé, avec laquelle il
puise dans un cratère à colonnettes le vin qui sera bu par les
convives dans des coupes comme celle qu’il tient de la main
gauche.
Les Grecs utilisaient parfois pour
rafraîchir le vin un vase apparu à la fin du VI° siècle : le
psykter, dont la panse globulaire reposant sur un pied élevé se
termine par un col étroit. Le psykter rempli de vin coupé d’eau
était plongé dans un cratère contenant de l’eau fraîche ou de la
neige.
Peintres et potiers.
Tous
ces vases sont le fruit de la collaboration de deux artisans : le
peintre et le potier (il peut toutefois arriver que peintre et
potier soient une seule et même personne). Nous connaissons
nommément quelques-uns d’entre eux. A partir du VI° siècle, en
effet, certains signent parfois leurs vases. La signature est une
courte phrase ayant pour sujet le nom de l’artisan et pour verbe le
mot faire ou peindre, selon qu’il s’agit du potier ou du peintre.
Sur l’amphore évoquée plus haut (fig. 4), on peut lire
verticalement : NikosqeneV
epoiesen (Nikosthénès
époiésen), c’est-à-dire Nikosthénès m’a fabriqué (c’est en effet le
vase qui est censé parler et le pronom complément, parfois exprimé,
est le plus souvent sous-entendu). En revanche, sur ce cratère (fig.
8), c’est le peintre qui a signé :
EujronioV
egrajse
(Euphronios égraphsé), Euphronios m’a peint. On peut trouver, mais
plus rarement, les deux signatures : le vase François porte la
signature du peintre, Clitias, et du potier, Ergotimos. Dans la
mesure où les signatures de potiers sont plus fréquentes que celles
de peintres, on peut estimer qu’à Athènes les premiers jouissaient
d’une notoriété plus grande et occupaient un rang plus élevé dans la
hiérarchie sociale. Les ateliers où se fabriquaient ces vases
étaient dirigés sans doute par un potier qui comptait un ou
plusieurs peintres au nombre de ses collaborateurs.
Quels que soient le talent du potier et la notoriété qui était la
sienne à l’époque, ce sont aujourd’hui surtout les peintres qui
requièrent notre attention et que nous nous efforçons d’identifier,
grâce à un examen minutieux des œuvres qu’ils nous ont laissées. Le
pionnier en ce domaine a été l’anglais sir John Beazley (1885-1970), qui, pendant plus d’un demi-siècle, a
étudié des milliers de vases pour détecter les similitudes et
déterminer à quelle main ils doivent être attribués. Grâce à lui
et à ses successeurs, on peut aujourd’hui attribuer la plupart
des vases conservés dans les musées à un peintre qu’on désigne
par un nom de convention. A l’exception, bien entendu, de ceux
qui ont signé quelques-unes de leurs œuvres, comme Exékias pour
les figures noires, Euphronios ou Epictétos pour les figures
rouges. Le peintre peut être désigné par association avec le
potier avec lequel il travaille, lorsqu’on connaît le nom de ce
dernier : on parle par exemple du peintre d’Andokidès. Ou bien
par le nom du musée où figure le vase le plus représentatif (ou
vase éponyme) : le peintre de Berlin, le peintre de Rouen (dont
le vase éponyme, une amphore à figures noires conservée au musée
des Antiquités de la ville, représente la chasse au sanglier de
Calydon). On y ajoute parfois le numéro d’inventaire de l’œuvre
qui a permis son identification, pour éviter toute confusion :
le peintre du Louvre F 6, le peintre du Louvre F 51, le peintre
de Londres E 80, par exemple. Ou bien on fait référence au sujet
du vase choisi pour modèle : le peintre d’Achille, le peintre de
la Balançoire, le peintre des Niobides. On peut encore désigner
le peintre par le lieu de découverte de l’un de ses vases : la
loutrophore attique avec sphynx et défilé de chars (fig. 2) est
ainsi attribuée au peintre d’Analatos, qui doit son nom au site
de l’Attique où a été retrouvée une hydrie manifestement de la
même main. De telles attributions ne vont pas sans risque
d’erreurs : nul expert n’est infaillible. Mais il n’est pas rare
qu’un heureux hasard vienne confirmer les intuitions des
spécialistes : deux fragments attribués au même peintre mais
conservés en deux endroits différents se révèleront appartenir
au même vase lorsqu’une occasion permet de les rassembler et de
les confronter.
Le décor des vases
Si original
soit-il, le peintre s’inscrit dans une tradition et obéit à des
conventions qui régissent l’art auquel il se consacre. Aussi le
décor de ces vases, à figures noires ou figures rouges, dans les
scènes mythologiques comme dans les scènes de genre,
respecte-t-il certaines règles
Il est
d’abord souvent lié à l’usage du vase.

Une
amphore panathénaïque comporte toujours sur la face principale
l’effigie d’Athéna coiffée d’un casque et munie d’une lance et d’un
bouclier, entre deux colonnes surmontées d’un coq ou d’une
statuette. On peut lire le long d’une des deux colonnes
l’inscription suivante : (wn
Aqeneqen
aqlwn
(ton athenethen athlon), c’est-à-dire prix ou récompense (le mot est
sous-entendu) des jeux d’Athènes. Au revers figure la représentation
de la discipline dans laquelle le vainqueur a triomphé : ici (fig.
9), l’épreuve du stade, c’est-à-dire la course de vitesse. En effet
le mot en grec désignait d’abord une mesure de longueur : un stade
mesurait environ 180 m. C’est la position des bras des coureurs qui
permet de distinguer sur ces amphores la course de vitesse et la
course de fond : dans ce dernier cas, les bras des concurrents sont
toujours plus près du corps. Toutes les amphores panathénaïques
obéissent à ce modèle. Seule modification : à partir du deuxième
quart du IV° siècle, Athéna est tournée vers la droite, comme on
peut le voir sur le vase déjà évoqué (fig. 6), et non plus vers la
gauche.
Les lécythes à fond blanc
constituent un autre cas particulier. Ces vases, dont la
fabrication est limitée au V° siècle, étaient destinés, nous
l’avons vu, à être déposés sur ou dans la tombe. Comme les
précédents, ils sont aussi exclusivement athéniens et n’ont
jamais servi à l’exportation. En raison de leur destination, le
décor est presque toujours une scène funéraire. Parfois une
scène mythologique : Charon et sa barque. Plus souvent une
visite au tombeau : autour d’une stèle funéraire, qui constitue
la marque visible du mort invisible, un ou deux personnages
viennent honorer sa mémoire. Les personnages et les objets sont
toujours dessinés au trait sur le fond blanc et rehaussés de
couleurs, bleu, vert, violet. Malheureusement, sur les vases qui
nous sont parvenus, le temps a fait son œuvre et celles-ci sont
souvent presque effacées.
Nombre de vases destinés au banquet, coupes ou cratères,
présentent des convives allongés sur un lit et conversant,
jouant d’un instrument (flûte ou lyre) ou côtoyant des
courtisanes, seules femmes admises au symposion (c’est le nom
que les Grecs donnaient à la réunion à boire qui venait après le
dîner et qui constituait le banquet). Parfois un convive fait
tourner autour de son index une coupe, parce qu’il s’apprête à
jeter le contenu, quelques gouttes de vin, sur une cible
désignée : c’est le jeu du cottabe, dont l’enjeu est un pari
amoureux. Les convives attablés peuvent être remplacés, sur le
vase, par un cortège de joyeux buveurs se rendant au banquet ou
par le dieu du vin, Dionysos, entouré de satyres et de ménades.
A défaut de scènes de banquet, on peut rencontrer des scènes de
palestre évoquant les jeux athlétiques auxquels s’adonnent dans
la journée les mêmes convives.
Les hydries offrent aussi parfois la même correspondance entre
le décor du vase et son usage : c’est sur ces vases qui
servaient à recueillir et transporter l’eau qu’on peut voir des
femmes à la fontaine.
Le décor
est aussi et surtout le reflet d’une culture.
Le répertoire est en effet emprunté à la mythologie
autant qu’à la vie quotidienne. Dans la mesure où la plupart des
vases des VI° et V° siècles sont sortis des ateliers athéniens, ce
sont les dieux et les héros honorés à Athènes qui figurent le plus
souvent dans la décoration. Parmi les divinités, une place toute
particulière est accordée à Athéna -nous l’avons vu notamment pour
les amphores dites panathénaïques- mais aussi à Dionysos. S’il
figure si souvent sur les vases avec son cortège habituel de satyres
et de ménades, c’est parce qu’il est le dieu qui a donné le vin aux
hommes, mais aussi parce qu’il est, pour les Athéniens, celui qui
préside à leurs concours dramatiques : à partir des années 530, ont
lieu chaque année à Athènes les Grandes Dionysies, fêtes en
l’honneur de ce dieu, au cours desquelles se déroulent des concours
de tragédies et de comédies.
Les peintres de
vases puisent naturellement dans le répertoire que leur offre
l’œuvre d’Homère, dans laquelle tous les Grecs apprenaient à
lire. Certains épisodes sont ainsi fréquemment évoqués : les
jeux funéraires en l’honneur de Patrocle, Achille recevant de
Thétis les armes forgées par Héphaistos, le combat d’Achille et
d’Hector, Ulysse aveuglant Polyphème. Mais deux héros ont droit
à un traitement de faveur : Héraclès, le héros panhellénique, et
Thésée, le roi mythique d’Athènes, dont les exploits symbolisent
le triomphe de la cité. Lorsqu’au V° siècle, Thésée est
représenté repoussant les Amazones, la scène revêt une fonction
symbolique : elle est l’image de la cité d’Athènes triomphant
des Perses et de la barbarie orientale. Mais deux épisodes ont
tout particulièrement intéressé les peintres de vases : la lutte
d’Héraclès contre le lion de Némée et la victoire de Thésée sur
le Minotaure enfermé dans le labyrinthe. Il s’agit certes de
scènes familières à tous les Grecs et qui, réduites à un duel,
se prêtaient aisément à meubler l’espace disponible sur l’épaule
ou la panse du vase. Mais elles symbolisent aussi le triomphe de
l’intelligence alliée à la vaillance sur la force brutale,
sauvage. Héros national, Thésée est aussi le modèle de l’homme
accompli, il réalise l’idéal grec du
kaloV
kagaqoV, l’homme valeureux
façonné par l’éducation, qui unit la beauté du corps et
l’excellence morale.
C’est ce même idéal culturel que traduisent
les multiples scènes de palestre ou de banquet qui figurent sur
les vases. Associant les exercices physiques, la musique et le
chant, la conversation entre honnêtes gens, elles célèbrent
cette double culture du corps et de l’esprit qui constitue pour
les Grecs, et tout spécialement les Athéniens, la civilisation.
On peut encore évoquer les représentations fréquentes de
guerriers revêtant leurs armes sous les yeux d’une femme.
L’image rappelle le rôle et le statut des deux sexes dans la
Grèce antique et l’espace qui leur est dévolu : à l’homme les
travaux de l’extérieur et le service de la cité, à la femme le
domaine domestique.
Le
dessin lui-même est régi par des conventions.
La représentation des
personnages et la composition des scènes obéissent aussi à des
règles et des conventions qui s’imposent à tous les peintres de
vases. Quand il évoque un combat, le peintre place toujours à
droite la victime, le monstre, le vaincu, à gauche le héros ou
le vainqueur, le désignant ainsi à notre admiration. C’est à
cette place que figurent Héraclès et Thésée sur les vases que
nous venons de voir. D’autre part, dieux et héros ont toujours
un certain nombre d’attributs qui permettent, même en l’absence
d’inscriptions sur le vase, de les identifier. Héraclès apparaît
toujours barbu et il est reconnaissable à sa massue et à la peau
du lion de Némée dont il est recouvert, la gueule de l’animal
lui recouvrant la tête et lui servant de casque. De même, on
peut identifier sur cette amphore (fig. 10) chacune des
divinités. Devant Zeus armé de la foudre, assis aux côtés de son
épouse Héra, la jeune femme ailée qui tient une cruche dans la
main droite est Iris, la messagère des dieux. A droite, on
reconnaît Hermès à son chapeau large et plat, le pétase, et à
son caducée, Poseidon, le dieu de la mer, à son trident (qui
plus est, il tient un poisson dans la main droite). Athéna porte
toujours casque et lance et elle est revêtue de l’égide, la peau
de chèvre qui lui sert à la fois de châle et de bouclier.
La
représentation de la figure humaine n’est qu’en apparence
réaliste. Un vase grec ne peut être tenu pour une simple
photographie de la réalité. Deux points à cet égard sont à
souligner. La nudité, d’abord : logique s’il s’agit d’hommes
s’exerçant au gymnase, elle est irréaliste lorsque le peintre
représente un guerrier se préparant à quitter les siens ou en
train de combattre. L’artiste entend exalter la beauté du corps
humain, inséparable à ses yeux de la valeur morale. La
différence de taille entre les personnages, d’autre part, permet
simplement de distinguer le jeune homme de l’homme d’âge mûr ou
l’esclave de son maître. Sur ce vase (fig. 11), on découvre, à
gauche, Priam venant demander à Achille de lui rendre le corps
d’Hector ; le personnage de droite est un jeune esclave au
service d’Achille et sa petite taille indique à la fois son âge
et sa condition sociale.
L’absence de réalisme
s’étend à la représentation des lieux. L’espace est souvent
symboliquement et schématiquement évoqué à l’aide d’un objet
significatif. Sur cette pyxis du Louvre (fig. 12), on assiste à
un cortège nuptial. Le nouveau marié a saisi par le poignet sa
jeune épouse, suivie de sa mère ou d’une autre femme, et il la
conduit vers sa nouvelle demeure. Le cortège se déroule tout
autour du vase et les deux maisons sont indiquées par la même
porte à deux battants qu’on voit ici à l’extrême-gauche : elle
représente à la fois la maison des parents de la jeune fille,
que quitte la mariée, et celle où va désormais s’écouler son
existence. De même, de simples objets présents dans le champ de
l’image servent à définir l’espace : éponge, paquetage avec
aryballe ou strigile (racloir permettant d’enlever la saleté
collée à la peau par la sueur et l’huile) signifient que l’on
est à la palestre ; un miroir, toujours symbolisé par un manche
surmonté d’un disque, est la marque d’un espace féminin : nous
sommes dans l’appartement des femmes.
Une
œuvre d’artiste.
Artisans nourris de la
même culture, partageant les mêmes valeurs et obéissant aux mêmes
conventions, les peintres de vases sont aussi des artistes dont nous
admirons aujourd’hui l’habileté et le talent, et à ce jeu certains
plus que d’autres. On peut admirer, par exemple, l’art d’adapter le
dessin à la forme du vase, notamment pour meubler l’espace
circulaire du médaillon à l’intérieur des coupes. La coupe du VI°
siècle dite coupe à l’oiseleur offre à cet égard une disposition
particulièrement ingénieuse. De part et d’autre du personnage situé
au centre de l’image, les troncs des deux arbres forment un axe
perpendiculaire à celui des anses, tandis que les feuillages se
déploient en épousant la courbe du médaillon.
Mais, pour
apprécier à sa juste valeur la beauté de ces vases, nous terminerons
par ce qui est sans nul doute l’un des chefs-d’œuvre de la céramique
athénienne (fig. 8). L’auteur, Euphronios, appartient à cette
génération de peintres de figures rouges qu’on appelle les
Pionniers, parce que, dans les années 520-500, ils ont été les
premiers à utiliser la nouvelle technique et qu’ils n’ont cessé
d’exploiter les possibilités qu’elle offre pour représenter le corps
humain. Le vase, conservé au Metropolitan Museum de New-York, est un cratère en calice. Il porte
la signature du peintre (en haut, à droite), mais aussi celle du
potier, Euxithéos (entre la lance du guerrier de gauche et Hypnos).
Le vase séduit par l’harmonie de ses formes, l’équilibre entre la
hauteur et le diamètre. Mais nous sommes surtout sensibles
aujourd’hui à la beauté du tableau peint sur la face principale. La
scène est empruntée à l’Iliade et représente la mort de
Sarpédon. Sarpédon, prince de Lycie venu combattre aux côtés des
Troyens, a été tué par Patrocle. Zeus, son père, n’a pu s’opposer à
ce destin, mais il ne veut pas que sa dépouille soit abandonnée aux
chiens et aux corbeaux. Il demande à Apollon d’emporter le corps et
de le remettre à Hypnos et Thanatos, « Sommeil et Trépas, dieux
jumeaux », pour le ramener en son pays où auront lieu les
funérailles. Euphronios a pris quelques libertés avec le texte
d’Homère : c’est Hermès, reconnaissable notamment à son caducée, et
non Apollon qui figure au centre. Le tableau vaut d’abord par la
composition : de part et d’autre de la figure centrale s’organisent
deux groupes de deux personnages disposés symétriquement (deux
guerriers troyens derrière Hypnos et Thanatos encadrent la scène) et
reliés horizontalement par le corps inanimé de Sarpédon. Mais aussi
par la finesse du dessin pour tous les détails : la frise de
palmettes près de l’embouchure comme la frise inférieure formée en
alternance de palmettes et de fleurs de lotus, la chevelure bouclée
de Sarpédon, les écailles qui ornent les ailes d’Hypnos et Thanatos
et le corselet de ce dernier. Les couleurs elles-mêmes offrent une
grande variété de tons, de l’orange clair au rouge vif du bandeau de
Sarpédon ou du sang qui coule de ses blessures. Et, au-delà de la
qualité esthétique de l’image, comment ne pas être sensible à la
portée universelle de cette scène : la mort d’un être jeune sur une
terre lointaine, parce qu’il est « du monde où les plus belles
choses ont le pire destin ».
Ainsi, au terme de ce rapide
parcours, nous retrouvons, à propos de la céramique, l’idée que
Jacqueline de Romilly, tout au long de ses livres sur la Grèce
antique, ne cesse de souligner : les œuvres des Grecs, en art comme
en littérature, demeurent, après vingt ou trente siècles, encore
actuelles, parce que l’esprit qui les anime est une aspiration
constante au général, à l’humain, à l’universel. Mais je voudrais
ajouter un dernier mot, en évoquant une ultime anecdote. Le 9
septembre 1900, un employé du musée de Florence, pris d’une soudaine
et inexplicable fureur, après avoir blessé un gardien à coups de
couteau, s’empara d’un lourd tabouret et le jeta sur la vitrine dans
laquelle était conservé le vase François, brisant le cratère qu’il
fallut ensuite à nouveau restaurer. Geste d’un dément, direz-vous.
Et pourtant posons la question : le mépris dans lequel sont tenues
aujourd’hui les lettres anciennes, la mise en pièces de leur
enseignement, systématique, délibérée, programmée, ne
ressemblent-ils pas à la folie de cet employé iconoclaste.
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